Nous connaissons tous cette projection de la Terre réalisée par la Nasa en 2012. Captées sous 312 orbites différentes, 2,5 térabits de données offrent un assemblage fascinant avec cette palette de noirs et de bleus qui dessinent les continents. Les points lumineux ci et là signalent les principales métropoles dont les éclairages se confondent parfois jusqu’à tracer à la perfection les frontières des pays. Depuis quelques semaines, ces tâches blanches brûlent les consciences. Cette carte met en lumière l’obscurité de pans considérables du globe. Elle prend carte autant de reliefs que de sens en rappelant l’origine des problèmes à résoudre.
Début novembre, Jean-Louis Borloo parcourait les rédactions avec cette image en guise d’étendard. Laissant derrière lui la politique, l’ex ministre de l’Écologie embrasse désormais une cause immense puisqu’à l’échelle d’un continent : électrifier l’Afrique ! Bien que louable, son intervention apparaissait alors curieuse car s’inscrivait dans les préparatifs de la COP21. Comment cette image sublimant la pollution lumineuse et la gabegie énergétique pouvait-elle servir la cause de sa Fondation Énergie pour l’Afrique ?
Procurer de l’électricité à 650 millions de personnes maintenues dans le noir, cela veut dire donner un accès à l’eau. Puisée, cette eau développera l’agriculture qui réduira la malnutrition et augmentera la santé des populations. L’électricité chauffera et éclairera, stoppant ainsi la déforestation. Elle favorisera l’éducation de ces enfants qui apprennent leurs leçons du soir à la lueur de lampes frontales... Dominos logiques les arguments de Borloo l’Africain s’enchainent et font mouche. Inaugurée en mars, sa Fondation affiche déjà les soutiens de personnalités, d’entreprises et de gouvernements. Quant aux états d’Afrique, ils donnaient en juin leur accord pour développer un instrument commun dédié au financement de projets d’électrification.
Et puis, Jean-Louis Borloo avance que sa Fondation espère bénéficier de 50 milliards en vue d’électrifier 90% du continent d’ici 2025... Forcément, en temps de crise, la main tendue a crispé. Certains ont rappelé qu’Obama œuvre déjà sur le sujet avec son initiative « Power Africa ». D’autres que des plans Marshall, il y en a eu plein en Afrique ; tel celui de construire à coup de millions un réseau de 57000 km de routes transcontinentales: en vain, sauf pour quelques poches...
En parallèle de tout cela, un phénomène s’est accéléré. Des dizaines puis des centaines de milliers de refugiés se sont mis en tête d’atteindre ces eldorados de lumière. À peine effleurée par la photo du petit corps sans vie d’Aylan Kurdi, l’Europe a pris peur. Relevant ses barbelés, elle a invité les gouvernants africains à La Valette et leur a promis une aide en contrepartie d’une migration maitrisée et de la réadmission des refoulés. L’enveloppe est chiffrée à 1,8 milliards d’euros. Bien, mais insuffisant pour Borloo qui, aussi à Malte, poursuit ses litanies: aider l’Afrique à se développer instaurera du travail sur place et installera des vies stables...
Le lendemain, la lumière s’est éteinte à Paris. Un petit temps, mais un horrible temps.
À son retour, l’on a compris le cheminement de certains Malins, dissimulés parmi les réfugiés. L’on s’est souvenu que l’expression Paris ville lumière ne vient pas seulement du siècle des Lumières et de ses philosophes, ni du développement de l’éclairage au gaz dans la capitale, mais aussi de cette consigne donnée aux parisiens du XVIIIème siècle d’allumer des bougies aux fenêtres pour contrer un fort taux de criminalité nocturne. Quant à l’idée de Borloo, renforcée durant la COP21, elle fait son chemin : éclairer l’Afrique mais aussi le reste du Monde renforcera les démocraties et la lutte contre le terrorisme. Depuis l’on a tous a conviction que cette projection de la Terre doit changer !
Xavier FODOR
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Edito publié dans SIGMAG n°7 - Décembre 2015. Cliquez ici pour acheter ce numéro